Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/82

Cette page n’a pas encore été corrigée

instruction et sortir de Saint-Maixent dans les premiers rangs, qu’il n’avait littéralement pas eu le loisir de sentir son cœur. Ses curiosités féminines s’étaient bornées à de banales aventures sans poésie et sans lendemain. Et tout de suite, ç’avait été l’Afrique, non pas celle des séjours dans les cabarets de la côte, parmi les verres d’absinthe, les parties de cartes et les créatures, mais celle des marches forcées, des luttes sans répit contre le climat, contre les bêtes féroces, contre les hommes, enfin la préparation et l’exécution, sous Marchand, de cette étonnante traversée de tout le monde noir. Au retour, il avait retrouvé les difficultés de carrière, résultat de la malveillance des pouvoirs publics à l’égard des membres de la mission. Des chagrins de famille s’y étaient mêlés, puis une crise de santé, mais surtout il avait connu ce vague état de misanthropie farouche qui se développe si aisément chez les gens de guerre soudain réduits au repos. Ces diverse circonstances combinées n’avaient pas permis à l’explorateur d’autres émotions que celles de l’ambition déçue. Il y avait donc en lui une immense et secrète réserve de tendresses demeurées intactes, une force de passion latente, si l’on peut dire. Cet aspect de héros de roman que Madeleine avait signalé à sa sœur, sur un ton mi-sérieux, mi-railleur, ne mentait pas. Toute la douleur subie dans l’action,