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Celui que l’officier, peu au courant des usages, appelait plébéiennement « monsieur le baron », s’était cru très aimable en exprimant ce compliment au narrateur. Il ne se doutait pas qu’il touchait, par cette comparaison avec des lions domestiques, la place la plus malade de cette sensibilité. Une ombre passa dans les yeux profonds du soldat, qui avait contemplé tant de scènes tragiques ou sauvages, toutes grandioses. Avoir rêvé, avoir vécu une épopée héroïque, et que plusieurs années d’un sacrifice sublime et renouvelé toutes les heures, aboutissent à une figuration, comme celle de l’entrée à Paris de Marchand et de ses camarades, puis à une curiosité autour d’un nom ! C’était la mélancolie qui rongeait Brissonnet depuis son retour. L’évocation par Favelles, de ces lions, pareils à ceux qu’il avait rencontrés dans le désert, et devenus des « numéros » dans un programme de cirque, était le symbole trop saisissant de sa destinée. Il y eut un silence que le Vieux Beau, ravi de son anecdote à lui, n’interpréta pas dans sa vérité. Madeleine, avec son tact de femme, devina quelle impression avait passé sur le cœur ulcéré du jeune homme, et comme d’un geste instinctif elle voulut panser cette plaie soudain rouverte :

– « Je ne sens pas du tout comme vous, » fit-elle en s’adressant à Favelles… « Je n’ai jamais pu supporter de regarder un fauve dans une cage. Ils