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famille de lions, je l’ai vue, moi qui ne quitte pas souvent les Champs-Élysées, au Cirque d’été, ce charmant Cirque d’été que ces brigands ont démoli. » Ces brigands, on le devine, c’étaient, pour le fidèle du second Empire, tous les gouvernants, sans aucune exception, depuis la honteuse journée du 4 Septembre. Il fallait l’entendre prononcer ces mots : le Cirque d’été, pour comprendre ce que lui avaient représenté pendant des années, à lui comme aux élégants de sa génération, ces samedis de mai et de juin où tout le Paris qui s’amuse se donnait rendez-vous autour de la piste, solennel royaume du solennel M. Loyal. « Oui, » continua-t-il, « je ne sais plus à quelle époque on avait installé une grande cage au milieu de l’arène. On y montrait un lion et une lionne qui venait de mettre bas, avec deux petits… On faisait tout à coup la nuit, et l’on baignait d’électricité les quatre bêtes… Les deux lionceaux et la mère jouaient sous ce faux clair de lune tout comme les vôtres, tandis que le père allait et venait comme votre lion. On les avait dressés à cela. Ce rapprochement d’idées m’est venu, et j’ai souri… Moralité, comme pour les fables, puisqu’il s’agit d’animaux : les Africains deviennent très vite bien Parisiens. Un peu de dressage y suffit. C’était l’histoire de ces lions, Brissonnet. Ce sera la vôtre. À la façon dont vous contez, ça l’est déjà… »