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Mais le véritable Vieux Beau, le Vieux Beau bon teint – sans épigramme ni équivoque, – n’est pas jaloux des succès des autres. Il est trop saturé de fatuité. Favelles venait donc, après avoir couru vainement après Brissonnet toute la matinée, de le retrouver en train d’écouter la musique sous les arbres de la charmille aménagée au milieu du parc, et, naturellement, il l’avait entraîné vers l’allée où Mme Liébaut s’installait le plus volontiers. Elle venait là, souvent, vers les trois heures, avec sa petite fille. Assise sur une chaise à l’ombre des branches, elle travaillait indéfiniment à quelque ouvrage avec cette patience qu’elle mettait à toute besogne. Cette rêveuse n’était jamais une oisive. Elle ne lisait guère. Les chimères dont se nourrissait sa fantaisie lui faisaient, sans qu’elle s’en rendît compte, paraître prosaïques et froides les inventions des écrivains. Cette après-midi elle avait emporté, pour occuper ses mains, des écheveaux d’une fine laine mêlée de brins de soie, destinée à se transformer en un souple mantelet pour Charlotte. Elle avait mis sa chaise sous un grand arbre où la brise éveillait un lent frémissement de feuilles, de quoi accompagner et bercer sa songerie. Sous son grand chapeau de légère mousseline pâlement rose, son souple corps pris dans une robe de batiste assortie, ses jolis doigts sortant des longues mitaines de dentelle sous lesquelles transparaissait la chair délicate de