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rejoignait l’allée du parc, où le Beau du second Empire étalait volontiers ses élégances de onze heures. Il était là, chaussé des plus fins souliers jaunes, guêtré de coutil clair, dans un complet de flanelle rayée, d’une coupe à lui, qui trouvait le moyen d’antidater, si l’on peut dire, par sa forme, cette toute moderne étoffe. Une fleur s’ouvrait à sa boutonnière, cachant à moitié le mince ruban rouge, militairement porté. Le chapeau de paille posé sur le coin de la tête, le cheveu astiqué, vernissé, laqué, le baron fumait, en dépit de toutes les lois de l’hygiène, son deuxième cigare de la journée. Dans l’orbite de son œil s’enchâssait un monocle d’écaille dont la sertissure spéciale et le large ruban moiré faisaient une prétention. Hélas ! un presbytisme croissant en faisait une nécessité. Ce vieil enfant de près de trois quarts de siècle dressait son torse, tendait son jarret. Il dominait de ses épaules le grêle et maladif héros, tout nerfs et tout énergie morale, qu’était Brissonnet. Le commandant, pauvrement vêtu d’un pardessus de drap sombre visiblement acheté dans un magasin de confections, coiffé d’un chapeau melon vaguement roussi aux bords, les pieds pris dans des bottines à lacets dont les cassures ignoraient les coquetteries de l’embauchoir, eût fait triste mine à côté du seigneur qui le promenait sous les arbres du parc, dans la jolie clarté de cette matinée, n’eût été l’air d’aristocratie comme naturellement