Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/56

Cette page n’a pas encore été corrigée

s’était déjà donné cette justification anticipée : « Si je veux qu’il me remarque, c’est afin de substituer plus tard ma sœur à moi-même, et qu’un goût léger pour moi devienne un sentiment sérieux pour elle. » Sophisme d’une sensibilité à demi ignorante d’elle-même. Il faut toujours en revenir au proverbe dont le plus passionné des poètes, et qui a payé cher son expérience, a fait le titre de son chef-d’œuvre : On ne badine pas avec l’amour… Madeleine eût répondu, si on l’eût interrogée quand elle sortit de sa maison, vers onze heures, sa lettre dans la main, avec sa petite fille, qu’il ne s’agissait d’amour, ni peu ni prou, encore moins d’un badinage, et elle eût été d’une absolue bonne foi ! Une chance s’offrait, cette chance longtemps et vainement cherchée de refaire l’avenir d’Agathe, et la sœur cadette n’eût pas admis une seconde qu’une autre cause lui donnât la vague émotion dont elle était saisie en s’acheminant vers l’hôtel et se posant cette question :

– « M. Brissonnet est-il parti ? Est-il resté ?… Je le saurai tout à l’heure. C’est le moment où Favelles fait sa promenade après son bain et avant son déjeuner. Il sera allé se renseigner, aussitôt sorti… Justement, le voilà… Et les voilà… »

Madeleine Liébaut avait suivi d’instinct, et comme sans y penser, pour gagner l’hôtel et sa boîte aux lettres, un chemin un peu détourné qui