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suivi de l’inconnu : « J’aurai là une minute amusante, » se dit-elle. « Ce monsieur a parfaitement vu, à la gare, que nous l’avions surpris en flagrant délit d’indiscrétion. Il vient de voir que je l’ai reconnu. Quelle mine aura-t-il ?… Je le jugerai là-dessus, j’aurai de quoi divertir un peu ma bougonne Agathe… »

Le dîner de la jeune femme s’achevait parmi ces pensées. Arrivée en retard, elle se trouvait rester l’une des dernières dans la vaste salle à manger. Le baron Favelles et son compagnon s’étaient levés depuis longtemps et ils avaient disparu quand elle se prépara, elle aussi, à rentrer chez elle. Entre l’instant où elle s’était figuré gaiement l’embarras de l’inconnu et celui où elle remettait la mante destinée à protéger son demi-décolletage contre la fraîcheur du soir, une réflexion très différente des précédentes avait sans doute traversé son esprit ; car, au lieu de se diriger vers cette porte du promenoir, où elle risquait presque sûrement de retrouver les deux hommes, elle quitta la salle à manger par une autre sortie qui donnait directement sur le parc… Une réflexion ?… Une impression plutôt, un de ces vagues et presque indéfinissables instincts comme l’approche d’un homme destiné à jouer un rôle dans leur existence en émeut chez les femmes d’une extrême susceptibilité sentimentale. Après s’être dit : « Cette