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Elle avait dit ces mots avec le mélange de demi-badinage et de demi-émotion, habituel aux êtres trop sensibles quand ils veulent apprivoiser un cœur qu’ils aiment et qu’ils devinent hostile. La grâce de sa voix et de son regard pour formuler sa paradoxale proposition détendit une minute la malveillance latente de Mme de Méris, qui se reprit à sourire, et, comme se prêtant à cette enfantine fantaisie, elle répliqua, sans amertume cette fois :

– « Je ne t’ai jamais empêchée de chercher, pourvu que je reste libre de refuser. »

– « Tu sais que je suis très sérieuse dans mon offre, » riposta la cadette, « et que je vais me mettre en campagne aussitôt, du moment que j’ai ton consentement. »

– « Tu l’as, dit l’aînée sur le même ton de plaisanterie affectueuse. « Mais si c’est parmi les rhumatisants et les neurasthéniques de Ragatz… »

– « Tout arrive, » interrompit Madeleine qui ajouta, en montrant à l’extrémité de la voie la silhouette de la locomotive : « même les trains suisses… »

L’express débouchait en effet du pont en tunnel construit sur le Rhin, et la petite gare changeait d’aspect. Les voyageurs plus nombreux se pressaient sur le bord du quai. Les facteurs manœuvraient les lourds haquets chargés de malles. La femme de chambre de Mme de Méris était maintenant