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aucun rapport entre ce vilain sentiment et l’innocent, le naïf attrait que la haute société exerce sur une enfant de dix-neuf ans quand elle est si jolie, si fine, si faite pour devenir tout naturellement une grande dame ! … Ce que je veux dire c’est qu’à présent tu peux refaire ta vie, et que tu dois la refaire… » Elle insista sur cette fin de phrase. « C’est ma grande maxime, tu sais : on doit vouloir vivre. Pour une femme de trente ans, belle comme toi, intelligente comme toi, sensible comme toi, ce n’est pas vivre que de n’avoir rien, ni personne à aimer vraiment. Une femme qui n’est pas épouse et qui n’est pas mère, c’est une trop grande misère. Tu es ma sœur, ma chère sœur, et je ne veux pas de ce sort pour toi… »

– « Je te remercie de l’intention, » répliqua Mme de Méris avec la même ironie. Puis sérieusement : « Tu ne m’as jamais tout à fait comprise, ma pauvre Madeleine. Je ne t’en veux pas. Ce que tu appelles ta grande maxime, ce sont tes goûts. C’est ton caractère. Tu aurais épousé Raoul, toi, que tu aurais trouvé le moyen d’être heureuse… Je vois cela d’ici, comme si j’y étais », continua-t-elle en soulignant son persiflage d’un petit rire sec. « Ses brutalités seraient devenues de la franchise. Il t’aurait trahie, comme il m’a trahie. Tu te serais dit que c’était ta faute, comme tu le dis de Clotilde. Veux-tu que je précise la chose qui nous sépare, qui nous séparera toujours ? Tu