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avait voué… Il eût été complètement heureux, dans cet amour sans espoir, s’il avait pu venir chez elle tous les jours et demeurer en sa présence, sans lui parler, à la contempler, l’écouter parler, penser, sentir… Ces visites quotidiennes lui étaient interdites. D’autres lui étaient permises, – du moins il crut qu’elles lui étaient permises, – à cette sœur dont la quasi-identité de traits avec celle qu’il aimait était si saisissante… Mon ami se laissa aller, sans réfléchir, à cette tentation de tromper par cette ressemblance la passion qui le dévorait. Il prit l’habitude de se rendre au théâtre, en soirée, à la promenade, partout où il était sûr de rencontrer cette sœur, sur le visage de laquelle sa rêverie reconnaissait, – avec quelle émotion, – cette grâce adorable dont il était épris, pas tout à fait la même, mais si pareille !… Et puis, une heure vint où même cette pauvre joie lui fut interdite. Alors il lui fut insupportable que les motifs auxquels il avait cédé fussent méconnus de la seule personne à l’opinion de laquelle il tînt… Pour la première et la dernière fois, il manqua à la parole qu’il s’était donnée lui-même… Qu’il ne s’en aille pas madame, sans emporter cette consolation que vous lui avez pardonné et que vous l’avez compris. »

– « J’ai compris, monsieur Brissonnet, » répondit la voix de Madeleine, toute frémissante,