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de l’être. Agathe déplaisait, comme Madeleine plaisait, par cet indéfinissable ensemble de choses que l’on appelle la personnalité. Elle le sentait. Elle l’avait toujours senti. Cette constante impression d’un secret désaccord entre elle et la vie lui avait donné cette espèce d’irritabilité qui aboutit si vite à ce qu’un humoriste anglo-saxon appelle la « dyspepsie morale » . Malgré l’apparente réussite de ses ambitions, elle avait été peu heureuse, et supportait mal le bonheur dont elle avait toujours vu au contraire sa cadette pénétrée. Elle ne l’enviait pas. Elle cachait trop de noblesse vraie sous ses dehors rêches, pour qu’un aussi vil sentiment trouvât place dans son cœur. Mais elle souffrait d’elle, et justement des traits personnels qui contrastaient le plus avec ses propres insuffisances. Elle détestait cette facile humeur de Madeleine où elle ne pouvait s’empêcher de voir un peu de vulgarité, – quoique rien ne fût moins vulgaire que cette aisance heureuse. – Elle lui reprochait cette joie de vivre où elle n’était pas loin de discerner un égoïsme, ce qui était injuste. Elle haïssait aussi des succès de société qu’elle eût pour un rien attribués à un peu de coquetterie. À quoi bon d’ailleurs analyser des relations délicates qu’il suffisait d’indiquer ? L’aventure à qui cette causerie entre les deux sœurs sert de prologue fera ressortir ces anomalies avec une netteté qu’aucun commentaire préalable n’égalerait.