Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/188

Cette page n’a pas encore été corrigée

progressive », une de ces belles leçons de sa clinique de l’Hôtel-Dieu où la force de l’expression arrive à la plus haute éloquence. Liébaut croyait avoir découvert la lésion initiale, inconnue jusqu’ici, qui détermine cette totale altération du squelette. Il avait rédigé une note importante qui devait illustrer ces photographies. L’incurvation des membres inférieurs appauvris jusqu’au dessèchement, la saillie aiguë des épaules, le tassement du tronc, l’énormité du crâne faisaient de ces images d’effroyables exemplaires de misère humaine, – de quoi retirer cet enseignement que nous sommes bien ingrats envers le sort, en nous créant des maux imaginaires, alors qu’il y a, de par le monde, tant de nos semblables atteints dans leur chair, et d’une façon si tragique ! Le mari de Madeleine était, je l’ai déjà dit, de ces docteurs que le contact quotidien avec la souffrance n’a pas blasés, et qui demeurent capables de plaindre les malades qu’ils soignent, – voire, chose plus rare, ceux qu’ils étudient. Les deux lamentables individus, dont il avait devant lui les silhouettes macabres et au sujet desquels il préparait cette communication à l’Académie, il les avait vus mourir, le cœur essoufflé, le cerveau comprimé, dans le plus affreux marasme. Il ne se les rappelait même plus, à cette minute où son regard courait sur ses épreuves, sans rien remarquer que la littéralité des mots imprimés.