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jamais ce que c’est qu’une femme. Lui, si bon, il est allé me livrer à cette pauvre Agathe !… Ah ! c’est à elle qu’il sera difficile de cacher mon secret ! J’y avais pourtant réussi. Sans cela, m’aurait-elle supplié de faire cette démarche ?… Hé bien ! Agathe me verra souffrir. Elle n’ira pas raconter ses observations à François, du moment qu’elle aura constaté que je ne me mets pas au travers de sa vie ; et je ne m’y mettrai ni s’il l’aime, ni s’il ne l’aime pas… » Elle ne désignait jamais Brissonnet autrement quand elle s’en parlait à elle-même, que par cet il impersonnel, ne voulant pas l’appeler du nom qu’il portait pour tous et ne se permettant pas cette douceur du prénom, si pénétrante pour le cœur d’une femme éprise et dont s’enivrait secrètement sa sœur : « S’il l’aime, je le lui donnerai… S’il ne l’aime pas ?… » Que de fois elle s’était posé cette question ! Et toujours elle y avait répondu avec un frémissement de sa sensibilité plus forte que toutes ses résolutions : « Non. Il ne l’aime pas… » Que de fois aussi, elle s’était interdit de se formuler avec la netteté de cette parole intérieure, aussi précise que l’autre, cette conclusion : « S’il ne l’aime pas, c’est moi qu’il aime !… » Pourquoi, à la veille de cette entrevue, où elle se préparait à mettre l’irréparable entre elle et cet homme, les redisait-elle, ces mots dangereux, ces mots coupables déjà, et non plus dans le silence de son