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résolument honnêtes et imprudemment passionnées comme elle, ont, comme elle, caressé ce dangereux projet d’avouer leur amour à l’heure même où elles y renonçaient ? C’est la suprême épreuve d’une vertu que ce combat contre l’aveu dans l’adieu : et Madeleine le soutenait avec elle-même dans la nuit qui suivit cette explication avec son mari. Elle était couchée dans son lit, toute lumière éteinte. Sous la porte qui séparait sa chambre à coucher de celle du médecin, elle pouvait voir briller une raie de lumière, et quand elle tendait l’oreille, elle distinguait le bruit de papiers froissés. Elle se rendait compte que Liébaut, non plus, ne dormait pas. Il avait été trop secoué par les émotions de la soirée. Tout le symbole de l’histoire secrète de ce ménage tenait dans ce contraste entre les insomnies des deux époux. Lui, avait repris son travail, ou du moins Madeleine le croyait. Elle le voyait, accoudé sur la petite table, placée dans l’angle, et où il transportait, de son grand bureau, le soir, les notes qu’il voulait classer avant de s’endormir, les épreuves qu’il se proposait de corriger. Elle ne le blâmait pas d’avoir l’énergie de cette besogne, si étrangère à leur commune préoccupation. Mais c’était une évidence trop accablante que leurs sensibilités ne réagissaient pas de même. Quelle femme, avec toutes les finesses et toutes les intelligences, a jamais pu comprendre ce phénomène de