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j’ai remarqué cette anomalie dans sa conduite : il nous fréquentait avec une suite qui prouvait de sa part un intérêt très spécial, et il ne faisait cependant aucune démarche de nature à indiquer un projet précis… Pardonne-moi d’aller jusqu’au bout de mes pensées, Madeleine … Au moment même où je m’étonnais, à part moi, du mystère aperçu dans les façons d’être de cet homme, je t’ai vue devenir un peu nerveuse d’abord, puis davantage, puis vraiment malade. Il m’a semblé que ton état ne s’expliquait point par des désordres purement physiques. J’ai cru démêler en toi un trouble moral, et j’ai eu peur… Oui, j’ai eu peur que toi aussi tu ne te fusses laissé prendre à la séduction qui émane naturellement d’un héros, jeune, intéressant, malheureux… Et voilà comment je suis devenu jaloux ! Ce n’est pas ta faute si ton pauvre mari n’est qu’un tâcheron d’amphithéâtre et d’hôpital, usé par la besogne et qui n’a rien pour parler à l’imagination… Si souvent, depuis que je t’ai épousée, te voyant si jolie, si fine, si élégante, j’ai tremblé, non pas que l’on te fit la cour, j’ai toujours su que tu ne le permettrais point, mais que notre vie ne te suffit pas !… Et puis, je me suis demandé si ton charme n’avait pas agi sur l’esprit de notre nouvel ami, si ce n’était pas là une explication et de ses assiduités dans notre milieu et de ses silences à l’égard d’Agathe ?…