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n’ai-je pas suivi mon instinct ? Pourquoi ne me suis-je pas ouvert à elle dès les premiers mots ?… »

Ces réflexions s’imposaient à François Liébaut tandis qu’il embrassait son fils et sa fille. Leur incohérence traduisait bien les sentiments contradictoires dont cet homme amoureux et trop lucide était possédé. Il éprouvait à la fois le besoin irrésistible de s’expliquer avec Madeleine et celui de se taire pour la ménager. Vaines chimères que toutes les âmes nobles ont caressées, quand la jalousie les brûlait de sa fièvre convulsive ! Et, tôt ou tard, elles ont toutes manqué à ce pacte de silence, qui n’est pas humain. Le mari de Madeleine devait succomber à cette tentation de confesser toutes ses tristesses avec d’autant plus de facilité qu’il avait à confesser aussi une faute, commise uniquement en esprit, mais si grave : ce consentement au piège proposé par la perfide Agathe. Et comment eût-il pu garder sur son cœur le secret de cet insultant projet, devant la loyauté dont sa femme lui donna une preuve saisissante, une fois les enfants partis ?

– « Je t’ai dit que j’avais à te parler de ma sœur, » commença-t-elle, « Il s’agit d’un point délicat, si délicat que j’hésite depuis très longtemps à t’en entretenir. Mais les choses en sont venues à une crise si aiguë que j’ai le devoir de t’y mêler… Tu te souviens ce que je t’avais écrit de Ragatz, »