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mésintelligence familiale par idée préalable avait accompli son œuvre. Madeleine avait jugé Liébaut, une fois pour toutes, et condamné. Elle s’était formé de lui l’image d’un très honnête personnage, et très ennuyeux, supérieur sans doute dans son métier, mais absorbé dans des travaux qui ne l’intéressaient, elle, en aucune manière, et absolument dépourvu de toute conversation. Qu’il eût pu plaire à sa cadette, elle avait, dès le premier jour, déclaré ne pas le comprendre, et sa malveillance à l’égard de cette sœur secrètement jalousée avait trouvé là une occasion unique de s’exercer, sous la couleur d’une généreuse pitié. Elle ne soupçonnait pas que cet homme, silencieux et modeste. volontiers effacé dans le monde, avait une délicatesse presque morbide d’impressions. François Liébaut était un de ces sensitifs qui perçoivent les moindres nuances, qu’un air de froideur surpris chez un de leurs proches paralyse, qui souffrent de la plus légère marque d’indifférence. Cette exquise susceptibilité du cœur ne semble guère conciliable avec les dures disciplines de l’Hôpital et de l'École pratique. Elle existe pourtant chez quelques médecins, et, comme il arrive quand il y a une antithèse radicale entre les exigences de la position et les prédispositions natives, celles-là exaspèrent celles-ci au lieu de les guérir. Le mari de Madeleine appartenait à cette espèce très rare, et si aisément