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était dans la secrète et constante malveillance, nourrie si longtemps par l’aînée des deux sœurs contre la cadette. Souffrir, comme Agathe avait fait, pendant des jours et des jours, du bonheur d’une autre, c’est nécessairement se former des idées inexactes sur le caractère de cette autre. Elle avait trop souvent critiqué les manières d’être de Madeleine, et avec trop d’acrimonie, pour n’avoir pas perdu le sens exact de cette exquise nature. Rien de plus fréquent, insistons-y, que ces erreurs d’optique entre personnes qui se voient sans cesse et ne connaissent d’elles que des images fausses. Ces méconnaissances sont à l’origine de presque toutes les tragédies de famille, autant que les discussions d’intérêt. Que de fois nous nous étonnons de constater que les qualités les plus évidentes d’un fils sont ignorées par ses parents, qu’un frère ne discerne pas chez un frère une valeur qui éclate aux yeux du premier venu ! Depuis des années, Mme de Méris avait été, dans maintes circonstances, dominée à l’égard de sa sœur par cette illusion à rebours, mais jamais comme à cet instant. L’automobile continuait d’aller, l’arrêtant ici, l’arrêtant là, devant une boutique, devant une autre. En proie à cette fièvre où l’on ne peut supporter ni la solitude, ni la compagnie, Agathe multipliait les courses inutiles, – en vain. Elle n’échappait pas à la jalousie