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secouant la tête, « Il a toujours su que j’avais de la fortune, et cela n’a pas été une objection pour son orgueil. Il a cru, et il a eu très raison, qu’en recevant un homme de sa valeur, nous étions ses obligées. Et, pour ma part, j’ai toujours cru que je l’étais. J’ai toujours agi vis-à-vis de lui en conséquence. Il est assez intelligent pour s’en être aperçu et en avoir tiré des conclusions toutes contraires à celles que tu supposes… D’ailleurs, » ajouta-t-elle après un silence, « je ne suis pas de ton avis sur la manière dont un grand cœur juge les différences de fortune entre êtres qui s’aiment, et, si tu réfléchis, tu te rangeras toi-même au mien. S’il y a une réelle bassesse d’âme dans le mélange de sentiment joué et de calcul réel, d’apparente passion et de plat intérêt que représente un mariage d’argent, il y a aussi une certaine mesquinerie de nature dans un scrupule tel que celui dont tu parles. Un héros, et Louis Brissonnet a l’âme d’un héros, ne pense pas aux questions de dot quand il s’agit d’une passion vraie. Il les ignore, ce qui est la seule manière d’aimer réellement… Non. S’il ne se déclare pas, c’est qu’il y a autre chose. »

– « Mais quoi ? » fit Madeleine qui se sentit rougir. Elle aussi, elle avait souvent entrevu un mystère dans les contradictions de certaines attitudes chez cet homme qui exerçait un tel prestige