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il avait passé sa jeunesse à étudier les manœuvres sur l’antique carte du Tendre. Il avait laissé planer l’équivoque sur ses vrais sentiments. Laquelle aimait-il, de Madeleine ou d’Agathe ? Quand Mme Liébaut pensait, à quelque indice, que c’était elle, un délire la saisissait et un remords, une joie criminelle et une épouvante. Pensait-elle qu’il aimait Agathe ? Elle se contraignait à se dire qu’elle devait s’en réjouir avec tout ce qu’elle avait d’affection tendre pour sa sœur, et c’était alors en elle une souffrance aiguë qui lui faisait mal, à croire que sa vie allait s’arrêter. Si elle s’affaissait, toute frémissante, toute pâle, les yeux si brillants, dans le fauteuil, au coin du feu, par cette après-midi de novembre, c’est que Mme de Méris était arrivée pendant une autre visite, celle de notre ancienne connaissance le baron Favelles, et du premier coup d’œil Madeleine avait discerné dans son aînée une agitation dont elle allait savoir la cause, maintenant que le pauvre baron était parti sur une anecdote dont il avait en vain escompté l’effet : – « Je m’en vais, » avait-il dit, « pour ne pas m’attirer le même mot qu’un jeune diplomate français invité à Osborne, du vivant de la feue reine Victoria… Notre compatriote était très gai. Il raconte après dîner une histoire qu’il croit très drôle. Silence de tout le salon… On attendait, pour rire, l’appréciation de Sa Majesté, qui laisse