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mélancolie dans une certaine absence. Madeleine était rentrée de Ragatz sans se rendre compte qu’elle ne s’intéressait pas à Brissonnet uniquement comme à un héros malheureux, comme au sauveur de sa fille, comme au mari possible de sa sœur. Elle savait maintenant le véritable nom de cette sympathie à la rapidité de laquelle elle avait trouvé tant de prétextes, et cette évidence la consumait de tant de honte qu’elle serait morte plutôt que de la confesser, même à son aînée, – surtout à son aînée. Elle, la femme de ce mari si loyal, si dévoué qu’était Liébaut, elle la mère de cette adorable petite fille qu’était Charlotte, elle aimait quelqu’un … Et ce quelqu’un, – par bonheur il ne soupçonnerait jamais le sentiment qu’il inspirait, – c’était la personne qu’elle avait introduite elle-même dans la vie de sa sœur ! Que de fois, depuis ces dernières semaines, la malheureuse avait tremblé qu’Agathe ne vînt lui dire : « Il m’a demandée en mariage, et j’ai dit oui ! » Elle avait beau, de toute la force de son honneur, s’interdire de penser à cet homme qui ne devait rien être, qui n’était rien pour elle, une irrésistible et constante anxiété la contraignait sans cesse, à toute occasion, de se demander ce qu’il sentait lui-même, quelle énigme cachait cette assiduité également répartie entre les deux sœurs, également respectueuse. Car l’officier d’Afrique avait agi comme si, au lieu d’être habitué à la stratégie de la brousse,