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LE DISCIPLE

l’essence même de mon intelligence, me font considérer le remords comme la plus niaise des illusions humaines. Ces convictions se trouvent impuissantes à me procurer cette paix de la certitude qui était la mienne. Je doute avec mon cœur de ce que mon esprit reconnait comme vrai. Je ne pense pas que pour un homme dont la jeunesse fut consumée de passions intellectuelles, il y ait un supplice plus affreux que celui-là. Mais pourquoi essayer de vous traduire avec des phrases littéraires un état mental que je veux justement vous exposer par son détail, à vous le grand connaisseur des maladies de l’âme, pour que vous me donniez le seul secours qui puisse m’être bienfaisant : une parole qui m’explique à moi-même ce qui m’est inexplicable, qui m’atteste que je ne suis pas un monstre, qui me soutienne dans le désarroi de mes croyances, qui me prouve que je ne me suis pas trompé depuis des années, en adhérant à la foi nouvelle avec l’intime énergie d’une créature sincère ? Enfin, mon cher maître, je suis très misérable, et j’ai besoin de dire ma misère. À qui m’adresser, sinon à vous, puisque je ne saurais espérer d’être intelligible à qui que ce soit, hors du psychologue dont je suis l’élève ? Depuis deux mois tantôt que je vis dans cette prison, l’instant où j’ai pris celle résolution de vous écrire ce mémoire a été le seul où je me sois retrouvé tel que je fus avant ces terribles événements. J’avais