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LE DISCIPLE

quième chapitre du second livre dans votre Analyse de la volonté, que je sais par cœur : « L’universel entrelacement des phénomènes fait que sur chacun d’eux porte le poids de tous les autres, en sorte que chaque parcelle de l’univers et à chaque seconde peut être considérée comme un résumé de tout ce qui fut, de tout ce qui est, de tout ce qui sera. C’est en ce sens qu’il est permis de dire que le monde est éternel dans son détail aussi bien que dans son ensemble. » Quelle phrase, et comme elle enveloppe, comme elle affirme et démontre l’idée que tout est nécessaire, en nous comme autour de nous, puisque nous sommes, nous aussi, une parcelle et un moment de ce monde éternel !… Hélas ! pourquoi faut-il que cette idée, si lucide au regard de mon esprit, lorsque je raisonne comme on doit raisonner, avec ma tête, et à laquelle j’acquiesce de toute la force de mon être, ne puisse détruire en mot une espèce de souffrance si particulière qui envahit mon cœur, lorsque je me souviens du drame que j’ai traversé, de certaines actions que j’ai voulues, d’autres dont je suis l’auteur, bien qu’indirect ? Pour vous dire la chose d’un mot, mon cher maître, quoique, encore une fois, je n’aie pas tué Mlle de Jussat, j’ai été mêlé de la manière la plus étroite au drame de son empoisonnement, et j’ai des remords, quand les doctrines auxquelles je crois, les vérités que je sais, les convictions qui forment