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LE DISCIPLE

causés par le vain appareil de justice qui m’environne. Je ne serais pas digne du nom de philosophe si je n’avais, dès longtemps, appris à considérer ma pensée comme la seule réalité avec quoi j’aie à compter, le monde extérieur comme une indifférente et fatale succession d’apparences. Dès ma dix-septième année, j’avais adopté pour régle de me répéter, dans les heures de contrariétés petites ou grandes, la formule de l’héroïque Spinoza : « La force par laquelle l’homme persévère dans l’existence est bornée, et celle des causes extérieure la surpasse infiniment. » Je serais condamné à mort dans six semaines, pour ce crime dont je suis innocent et dont je ne puis me justifier, — vous comprendrez pourquoi, après avoir lu ces pages, — que j’irais à l’échafaud sans trembler. Je supporterais cet événement avec le même sang-froid que si un médecin me diagnostiquait, après m’avoir ausculté, une maladie avancée du cœur. Condamné, j’aurais à vaincre la révolte de l’animal d’abord, ensuite à supporter le contre-coup du désespoir de ma mère. J’ai appris, par vos livres, le remède contre de telles épreuves, et en opposant à l’image de la mort prochaine le sentiment de l’inéluctable nécessité, en diminuant la vision de la douleur de ma mère par le rappel précis des lois psychologiques qui gouvernent les consolations, j’arriverais au calme relatif. Certaines phrases de vous y suffiraient, celle, par exemple du cin-