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LE DISCIPLE

et qui s’entendait dans le silence profond de cette maison vide, trahissait la faiblesse de la misérable femme. Si peu sensible aux impressions du monde extérieur que fût le philosophe, il demeura saisi d’une obscure pitié quand, une fois entré dans son cabinet aux volets clos, qu’éclairaient doucement le feu et la lampe allumés déjà par sa servante, il regarda sa visiteuse bien en face. Les rides creusées au coin de la bouche et le long des ailes du nez, les lèvres sèches de fièvre, le pli des sourcils contractés, les meurtrissures des paupières, l’énervement des mains gantées de noir qui maniaient un rouleau de papier, sans doute quelque mémoire justificatif, tous les détails enfin de cette physionomie révélaient les tortures de l’idée fixe ; et, à peine tombée plutôt qu’assise sur le fauteuil, elle dit d’une voix brisée :

— « Mon Dieu ! mon Dieu !… Je suis donc arrivée trop tard… Je voulais vous parler, monsieur, avant votre entretien avec le juge… Mais vous l’avez défendu, n’est-ce pas ?… Vous avez dit que ce n’était pas possible ; qu’il n’avait pas commis ce dont on l’accuse ?… Vous ne le croyez pas coupable, vous, monsieur, qu’il appelait son maître, vous qu’il aimait tant ?… »

— « Je n’ai pas eu à le défendre, madame, » dit le philosophe ; « on m’a demandé quelles avaient été mes relations avec lui, et comme je