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LE DISCIPLE

et qui s’attardait, lui aussi, à suivre des yeux la scène entre l’ivrogne et l’inconnue.

— « Ah ! monsieur Sixte, » fit le concierge, « justement cette dame en noir vient de vous demander deux fois depuis un quart d’heure… Elle a dit que vous l’attendiez. »

— « Allez la chercher, » répondit le savant ; et, en lui-même : « C’est la mère… » songea-t-il. Son premier mouvement fut de rentrer aussitôt. Puis une espèce de timidité le retint, et il demeura là sur le pas de la porte, tandis que le concierge, coiffé de sa casquette un peu haute, son tablier de cuir autour du corps, courait, suivi de son coq qui se hâtait derrière lui, jusqu’au groupe amassé au coin de la rue. La femme n’eut pas plus tôt entendu la phrase du père Carbonnet qu’elle se dirigea, laissant là le maitre de Ferdinand gourmander l’ivrogne, vers la maison du philosophe. Ce dernier, continuant d’instinct les raisonnements de sa promenade, remarqua aussitôt une ressemblance singulière entre la personne mystérieuse qui venait à lui et le jeune homme sur lequel il avait été interrogé. C’était le même regard brillant, dans un visage très pâle, et la même coupe d’un maigre visage. Cette fois, il n’eut plus le moindre doute, et tout de suite l’implacable psychologue, curieux seulement du cas à étudier, céda la place au bonhomme gauche, malhabile à la vie pratique, embarrassé de son