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LE DISCIPLE

avec une mère au désespoir qui venait sans doute le supplier qu’il l’aidât à sauver la tête d’un fils, peut-être innocent ! Mais l’innocence possible du prévenu, la douleur de la mère, l’action qu’il serait lui-même appelé à jouer dans cette nouvelle scène, tout s’effaçait devant l’idée fixe de la note à prendre, du petit fait significatif à collectionner. Quatre heures sonnaient quand ce singulier songeur, et qui ne soupçonnait pas plus sa propre férocité qu’un médecin charmé par une belle autopsie, déboucha sur son trottoir et arriva devant sa maison. Sur le seuil de la porte cochère se tenaient deux hommes : le père Carbonnet et le commissionnaire habituellement installé au coin de la rue. Le dos tourné au côté par où venait Adrien Sixte, ils regardaient en riant les titubations d’un ivrogne égaré sur le trottoir d’en face, et ils échangeaient les propos qu’un pareil spectacle suggère aux gens du peuple. Le coq Ferdinand tournait à leurs pieds, brun et lustré, et il picotait l’entre-deux du pavé.

— « En voilà un qui a bu un coup de trop, pour sûr de sûr, » disait le commissionnaire.

— « Et si je vous disais, moi, » répondait Carbonnet, « que s’il est comme ça, c’est qu’il n’a pas bu assez ? Car s’il avait bu davantage, il serait tombé chez le marchand de vins… Il ne serait pas à faire le lent j’y vas malhabile j’y cours le long