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LE DISCIPLE

ferait-on comprendre qu’il pourrait être utile à la science de leur donner systématiquement, par exemple, certains défauts ou certains vices ? »

— « Des vices ?… » fit le juge abasourdi par la tranquillité avec laquelle le philosophe avait prononcé cette phrase énorme.

— « Je parlais en psychologue, » répondit le savant qui sourit à son tour de l’exclamation du juge ; « voilà justement pourquoi, monsieur, notre science n’est pas susceptible de certains progrès. Votre exclamation m’en donnerait une preuve, s’il en était besoin. La société ne peut pas se passer de la théorie du Bien et du Mal qui pour nous n’a d’autre sens que de marquer un ensemble de conventions quelquefois utiles, quelquefois puériles. »

— « Vous admettez cependant qu’il y a des actions bonnes et des actions mauvaises, » fit M. Valette ; puis le magistrat reprenant le dessus et utilisant tout de suite cette discussion générale au profit de son enquête : « Cet empoisonnement de Mlle de Jussat, » insinua-t-il, « par exemple, vous conviendrez que c’est un crime… »

— « Au point de vue social, » répondit M. Sixte, « sans aucun doute. Mais pour le philosophe il n’y a ni crime ni vertu. Nos volitions sont des faits d’un certain ordre régis par certaines lois, voilà tout. Mais, monsieur, » et ici la naïve vanité de l’écrivain apparut, « vous trouverez de