Page:Bourget - Le Disciple.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
LE DISCIPLE

Le philosophe eut un nouveau mouvement de tête. — « Je vous demanderai tout à l’heure de vouloir bien déclarer si ce jeune homme vous a parlé de l’intérieur de cette famille, et dans quels termes… Je ne vous apprends sans doute rien en vous rappelant qu’elle se composait du père, de la mère, d’un fils qui est capitaine de dragons, actuellement en garnison à Lunéville, d’un second fils qui était l’élève de Greslou et d’une jeune fille de dix-neuf ans, Mlle Charlotte. Cette dernière était fiancée au baron de Plane, un officier du même régiment que son frère. Le mariage avait dû être retardé, de quelques mois, pour des raisons de famille qui n’ont rien à voir au procès. Il avait été définitivement fixé au 15 décembre dernier. Or, un matin de la semaine qui précédait l’arrivée du fiancé et du comte André, le frère de Mlle de Jussat, la femme de chambre de cette jeune fille, en entrant chez elle à l’heure accoutumée, la trouva morte dans son lit… »

Le magistrat fit une pause, et, tout en continuant à feuilleter son dossier, il guigna de l’œil le témoin. La stupeur qui se peignit sur le visage du philosophe manifesta une telle sincérité, que le juge en demeura lui-même étonné. « Il ne savait rien, » se dit-il ; « voilà qui est bien étrange… » Il étudia de nouveau, sans quitter son air préoccupé et indifférent, la physionomie de l’homme célèbre. Mais il manquait des données qui lui eussent rendu