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LE DISCIPLE

porté, avec une exactitude à laquelle ces messieurs de la presse ne nous ont guère habitués… » répondit le juge, qui crut devoir répondre au dédain de la littérature pour la robe diagnostiqué chez le témoin par un peu de persiflage ; et à part lui : « Il dissimule… Pourquoi ?… Pour jouer au plus fin ?… Comme c’est bête ! »

— « Pardon, monsieur, » dit encore le philosophe, « je ne lis jamais aucun journal. »

Le juge regarda son interlocuteur en faisant un « Ah ! » où il entrait plus d’ironie que d’étonnement. « Bon, » pensa-t-il, « tu veux me faire poser, toi ; attends un peu… » Ce fut avec une certaine irritation dans la voix qu’il reprit :

— « Hé bien, monsieur, je vous résumerai donc l’accusation en quelques mots, tout en regrettant que vous ne soyez pas plus au courant d’une affaire qui peut intéresser gravement, très gravement, sinon votre responsabilité légale, au moins votre responsabilité morale… » Ici le philosophe dressa la tête avec une inquiétude qui réjouit le cœur du juge : « Attrape, mon bonhomme, » se dit-il ; et à haute voix : « Vous savez, en tout cas, monsieur, qui était Robert Greslou et la situation qu’il occupait chez M. le marquis de Jussat-Randon… J’ai là, dans le dossier, copie de plusieurs lettres que vous lui avez adressées au château de Jussat et qui témoignent que vous étiez — comment dirai-je ? — le directeur intellectuel du prévenu. » —