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LE DISCIPLE

bureau d’acajou. La physionomie du juge d’instruction s’était remise au grave. Ces passages d’une altitude à une autre sont beaucoup plus sincères que ne l’imaginent ceux qui constatent ces contrastes de tenue entre l’homme privé et le fonctionnaire. Le parfait comédien social, et qui considère son métier avec un entier mépris, est un monstre heureusement très rare. Nous n’avons pas cette force de scepticisme au service de nos hypocrisies. Le spirituel M. Valette, si goûté dans le demi-monde, ami des hommes de cercle et de sport, émule des journalistes en plaisanteries, et qui, tout à l’heure, commentait joyeusement le mot d’une impure avec laquelle il devait dîner le soir, n’avait eu besoin d’aucun effort pour céder la place à l’investigateur sévère et froidement habile qui a mission de chercher la vérité au nom de la loi. De sa prunelle devenue soudainement aiguë, il essaya de pénétrer jusqu’au fond la conscience du nouveau venu. Dans ces premières minutes d’entretien avec quelqu’un qu’il s’agit de faire parler, même s’il ne le veut pas, les magistrats de race ont en eux une espèce d’éveil de toute leur nature judiciaire, comme les escrimeurs qui tâtent le jeu d’un tireur inconnu, afin d’y entrer. Le philosophe, lui, constata que ses pressentiments ne l’avaient pas trompé, car il lut, écrits en grosses lettres sur la liasse de papiers que prit M. Valette, ces mots qui le firent involontairement