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LE DISCIPLE

Elle était classée, avec d’autres du même genre, sous la rubrique : « Documents contemporains sur la formation des esprits. » Elle formait environ trente pages que le savant lut avec un soin particulier, sans y rencontrer rien que des réflexions d’un ordre intellectuel, des questions sur des lectures à suivre, et l’énoncé de quelques projets de mémoires. Quel fil pouvait bien rattacher de pareilles préoccupations au procès criminel dont parlait la mère ? Il fallait que ce garçon, vu deux fois à peine, eût beaucoup frappé le philosophe, car la pensée que le mystère dissimulé derrière cet appel au Palais de Justice était le même que celui qui motivait cette visite subite d’une mère au désespoir le tint éveillé une partie de la nuit. Pour la première fois depuis des années, il brusqua Mlle Trapenard à cause d’une petite négligence de service, et quand il passa devant la loge à une heure de l’après-midi, son visage, d’ordinaire très calme, exprimait un si visible souci que le père Carbonnet, déjà mis en éveil par la lettre de convocation arrivée ouverte, suivant une coutume assez barbare, et qu’il avait lue, comme de juste, fit cette confidence à sa femme, — il avait déjà parlé de la chose dans tout le quartier :

— « Je ne suis pas curieux des affaires des autres, mais je donnerais bien vingt ans de la vie de la propriétaire pour savoir ce que la jus-