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LE DISCIPLE

que sa renommée attirait chez lui, aucun ne l’avait étonné davantage par la précocité vraiment extraordinaire de l’érudition et du raisonnement. Sans doute il flottait dans l’esprit de cet adolescent bien de l’à-peu-près, l’effervescence d’une pensée qui s’est assimilé, trop vite, trop de connaissances diverses ; mais quelle merveilleuse facilité de déduction ! Quelle éloquence naturelle, et aussi quelle visible sincérité d’enthousiasme ! Le savant le revoyait, au cours de cette conversation, gesticulant un peu et lui disant : « Non, monsieur, vous ne savez pas ce que vous êtes pour nous, ni ce que nous éprouvons à lire vos livres… Vous êtes celui qui accepte toute la vérité, celui en qui on peut croire… Tenez, dans votre Théorie des passions, l’analyse de l’amour, mais c’est notre bréviaire à tous… Au lycée, on défend le livre. Je l’avais chez moi, et deux de mes camarades venaient copier ces chapitres, à la maison, les jours de sortie… » Et comme il se cache une vanité d’auteur dans l’âme de tout homme qui a fait imprimer de sa prose, fût-il aussi absolument sincère que M. Adrien Sixte, ce culte d’un groupe d’écoliers, naïvement exprimé par l’un d’eux, avait flatté particulièrement le philosophe. Robert Greslou avait sollicité l’honneur d’une seconde visite, et là, tout en avouant un échec à l’École normale, il s’était un peu ouvert sur ses projets. M. Sixte, lui, s’était laissé aller, contre ses habi-