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LE DISCIPLE

pas un atome de son honneur posthume au drôle qui l’avait perdue. Quand il se représentait sa sœur, la douce créature qu’il avait aimée, lui, d’une si virile et noble affection, celle du frère aîné pour une enfant fragile et fine, possédée par ce manant, par ce précepteur de hasard, cela lui faisait l’impression d’un outrage si abject infligé à son sang qu’il en défaillait de fureur, comme autrefois, quand il lui avait fallu, pendant la guerre, assister à la capitulation de Metz et rendre ses armes. Il éprouvait alors un soulagement à penser que le banc d’infamie où s’assoient les faussaires, les escrocs, les meurtriers, attendait cet homme, et ensuite l’échafaud ou le bagne… Et il étouffait la voix qui lui disait : « Tu dois parler… » Mon Dieu ! Quelle agonie pour lui que ces trois mois durant lesquels il n’était pas demeuré cinq minutes sans se débattre entre ces sentiments contradictoires ! Au champ de manœuvre, — car il avait repris son service, — à cheval et trottant à grandes allures sur les chemins de Lorraine, dans sa chambre et travaillant sous la lampe, cette question s’était posée devant lui : « Qu’allait-il faire ? » Il avait laissé passer des semaines sans y répondre, mais l’instant était venu où il fallait agir et se décider, puisque dans deux jours — les débats devaient occuper quatre séances — Greslou serait jugé et sans doute condamné. Il y aurait bien du temps encore après cette condamnation.