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LE DISCIPLE

et la condamnation de Greslou comme empoisonneur était inique. Une circonstance inattendue et pour lui presque monstrueuse avait achevé de bouleverser André de Jussat ; le silence de l’accusé. Si Greslou avait parlé, racontant ses amours, défendant sa tête au prix de l’honneur de sa victime, le comte n’aurait pas eu pour lui assez de mépris. Mais non. Par un contraste de caractère qui devait paraître plus inexplicable encore à un esprit simple, ce brigand déployait soudain une générosité de gentilhomme à ne pas prononcer un mot dont fût souillée la mémoire de celle qu’il avait attirée dans un si détestable guet-apens. Ce coquin se retrouvait brave devant la justice, héroïque à sa manière. En tout cas, il cessait d’être uniquement digne de dégoût. André se disait bien que c’était là une tactique de cour d’assises, un procédé pour obtenir un acquittement par l’absence de preuves. Mais, d’autre part, il savait, par la lettre de sa sœur, l’existence du journal où le détail de la séduction était consigné heure par heure. Ce journal diminuait singulièrement les chances d’une condamnation, et Greslou ne le produisait pas. L’officier n’aurait pas su expliquer pourquoi cette dignité d’attitude chez son ennemi l’affolait d’une colère qui lui donnait un frénétique désir de courir chez le magistrat chargé d’instruire l’affaire, afin que la vérité parût au jour, et que la morte ne dût rien, non, rien,