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LE DISCIPLE

nomie joviale, avait mis un peu d’ordre militaire dans ce salon loué de la veille, et, après avoir remonté cette pendule, allumé ce feu, il achevait de préparer deux couverts sur la table du milieu. De temps à autre il regardait aller et venir son capitaine, qui, tirant sa moustache d’une main nerveuse, mordant sa lèvre, fronçant ses sourcils, portait sur son mâle visage l’expression de l’anxiété la plus douloureuse. Mais Joseph Pourat, c’était le nom de l’ordonnance, s’expliquait trop bien dans sa simple cervelle que le comte fût à peine maître de soi pendant qu’on jugeait l’assassin de sa sœur. Pour lui, comme pour toutes les personnes qui de près où de loin touchaient aux Jussat-Randon et qui avaient connu Charlotte, la culpabilité de Robert Greslou ne faisait pas doute. Ce que le fidèle soldat comprenait moins, connaissant l’énergie de son officier, c’est qu’il eût laissé le vieux marquis se rendre seul à l’audience. « Cela me ferait trop mal… » avait dit le comte, et Pourat, qui disposait les assiettes et les fourchettes, après les avoir essuyées au préalable, par une juste défiance pour la propreté du service de l’hôtel, pensait devant la visible angoisse de son maître : « C’est un bon cœur tout de même, quoiqu’il soit si brusque… Comme il l’aimait !… »

André de Jussat, lui, ne semblait même pas se douter qu’il y eût quelqu’un dans la chambre. Ses yeux bruns rapprochés du nez, qui avaient autre-