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LE DISCIPLE

Soit. Mais quand, où, comment ai-je mal agi ? Pourquoi ai-je des remords à propos de ce «scélérat ? Quelle est ma faute ?… » Il rentra, décidé à passer en revue toute sa vie. Il s’aperçut tout petit enfant et qui travaillait à ses devoirs avec une minutie de conscience digne de son père l’horloger. Plus tard, quand il avait commencé de penser, qu’avait-il aimé, qu’avait-il voulu ? La vérité. Quand il avait pris la plume, pourquoi avait-il écrit, pour servir quelle cause, sinon la vérité ? À la vérité, il avait tout sacrifié : fortune, place, famille, santé, amours, amitiés. Et qu’enseignait même le Christianisme, la doctrine la plus pénétrée des idées contraires aux siennes ? « Paix sur la terre aux hommes de bon vouloir, » c’est-à-dire à ceux qui ont cherché la vérité. Pas un jour, pas une heure, dans ce passé qu’il scrutait avec la force du plus subtil génie mis au service d’une intransigeante conscience, il n’avait manqué au programme idéal de sa jeunesse, formulé autrefois dans cette noble et modeste devise : « Dire toute sa pensée, ne dire que sa pensée. » — « C’est le devoir, cela, pour ceux qui croient au devoir, » se dit-il, « et je l’ai rempli… » Cette nuit-là, et au sortir de cette méditation courageuse sur sa destinée de travailleur intègre, ce grand honnête homme put s’endormir enfin, et d’un sommeil que le souvenir de Robert Greslou ne troubla pas.