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LE DISCIPLE

celle de sa pensée agissante et corruptrice, lui qui avait vécu dans le plus entier renoncement et avec un idéal quotidien de pureté. L’aventure de Robert Greslou lui montrait dans ses livres les complices d’un hideux orgueil et d’une abjecte sensualité, lui qui n’avait jamais travaillé que pour servir la psychologie, en modeste ouvrier d’un travail qu’il croyait bienfaisant, et dans l’ascétisme le plus sévère, afin que jamais les ennemis de ses doctrines ne pussent arguer de son exemple contre ses principes. Cette impression fut d’autant plus violente qu’elle fut subite. Un médecin de grand cœur éprouverait une angoisse d’un ordre analogue si, ayant établi la théorie d’un remède, il apprenait qu’un de ses internes en a essayé l’application et que toute une salle d’hôpital est à l’agonie. Avoir fait le mal le sachant et le voulant, c’est bien amer pour un homme dont la conscience vaut mieux que ses actes. Mais avoir dévoué trente années à une œuvre, avoir cru cette œuvre utile, l’avoir poursuivie sincèrement, simplement, avoir repoussé comme injurieuses les accusations d’immoralité lancées par des adversaires passionnés, s’être tendu à ne jamais douter de son esprit, et, tout d’un coup, à la lumière d’une révélation foudroyante, tenir une preuve indiscutable, une preuve réelle comme la vie même, que cette œuvre a empoisonne une âme, qu’elle portait en