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LE DISCIPLE

critique spiritualiste dans une célèbre Revue, suffirent pour désigner l’ouvrage aux curiosités de la jeunesse, sur laquelle passait un vent de révolution, symptôme avant-coureur des bouleversements prochains. La thèse de l’auteur consistait à démontrer la production nécessaire de « l’hypothèse-Dieu » par le fonctionnement de quelques lois psychologiques, rattachées elles-mêmes à quelques modifications cérébrales d’un ordre tout physique. Cette thèse était établie, appuyée, développée avec une âpreté d’athéisme qui rappelait les fureurs de Lucrèce contre les croyances de son temps. Il arriva donc au solitaire de Nancy que son œuvre, conçue et composée comme dans une cellule, fut du premier coup mêlée d’une manière tapageuse à la bataille des idées contemporaines. On n’avait pas rencontré, depuis des années, une pareille puissance d’idées générales mariée à une telle ampleur d’érudition, ni une si riche abondance de points de vue unie à un si audacieux nihilisme. Mais, tandis que le nom de l’écrivain devenait célèbre à Paris, ses parents, ceux qui vivaient auprès de lui sans le connaître, ceux qui l’avaient élevé, demeuraient atterrés de son succès. Quelques articles de journaux catholiques désespéraient Mme Sixte. Le vieil horloger tremblait de perdre sa clientèle dans l’aristocratie nancéenne. Toutes les misères de la province crucifièrent le philosophe, qui allait