Page:Bourget - Le Disciple.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
307
LE DISCIPLE

froidement, intellectuellement conçue, au lieu que, durant cette affreuse scène, c’était un désarroi de toutes les forces de mon âme, entre mes sensations suraiguës de ces mots derniers et celles de l’heure présente, et, m’asseyant sur le tapis où je venais de m’agenouiller, comme si je n’avais plus eu même l’énergie de me tenir debout, je remuai la tête, et je dis ? « Non, non. » Cette fois, ce fut elle qui ne répondit pas. Je la vis ramasser d’un geste ses beaux cheveux, qu’elle tordit en un nœud fait à la hâte, assurer ses pieds dans ses mules, s’envelopper de sa robe blanche. Elle chercha des yeux le flacon noir à étiquette rouge, et, ne le voyant pas sur la table, elle marcha vers la porte, puis, sans même retourner sa tête, elle disparut après m’avoir lancé de nouveau le mot terrible :

— « Lâche ! lâche !… »

Je restai là, écroulé devant ce lit, dont le désordre me témoignait seul que je n’avais pas rêvé, — longtemps, longtemps. Soudain une inquiétude effrayante m’étreignit le cœur. Si Charlotte, une fois rentrée chez elle, exaspérée comme elle était, oui, si Charlotte avait attenté à ses jours ? En proie aux affres de cette nouvelle angoisse, j’osai aller à travers les corridors et l’escalier jusqu’à sa chambre, et là, collant mon oreille contre la porte, j’épiai un bruit, un gémissement, un signe qui me révélât quel drame se