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LE DISCIPLE

tées, la vision s’évoque de cette vie toute en pensée que j’avais tour à tour tant désirée et tant reniée. Je vous vis dans votre cellule, mon cher maître, en train de méditer, et l’univers de l’intelligence développa de nouveau devant moi la splendeur de ses horizons. Mes travaux personnels, si négligés depuis quelques temps, ce cerveau dont j’avais été si fier, ce Moi cultivé si complaisamment, j’allais sacrifier tous ces trésors… » À la parole donnée… » eussé-je dû répondre. « À un caprice d’exaltation… » répondis-je. À la rigueur, ce suicide avait une signification tout à l’heure, quand d’être à jamais séparé de Charlotte me bouleversait de désespoir. Mais maintenant ? Nous nous aimions, nous étions l’un à l’autre. Qui nous empêchait, libres et jeunes tous deux, de fuir ensemble, si, au lendemain de cette nuit d’ivresse, nous ne pouvions supporter l’absence ? Cette hypothèse d’un enlèvement fit surgir dans ma mémoire l’image du comte André. Pourquoi ne pas noter cela aussi ? Un chatouillement enivrant d’amour-propre me courut sur tout le cœur à ce souvenir. Je regardai Charlotte de nouveau, et je me sentis, cette fois, rempli du plus farouche orgueil. La rivalité instituée autrefois par ma secrète envie entre son frère et moi se réveilla dans un sursaut de triomphe. Il y a un proverbe célèbre qui dit que tout animal est triste après la volupté : « Omne animal… » Ce n’est pas cette