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LE DISCIPLE

plus entière bonne foi. Il m’avait paru si simple, si naturel, si facile de nous en aller ainsi tous les deux ! Vous qui avez décrit en des pages si fortes la vapeur d’illusions soulevée en nous par le désir physique, ce vertige du sexe dont nous sommes pris comme d’un vin, vous ne me jugerez pas monstrueux d’avoir senti cette vapeur se dissiper avec le désir, cette ivresse s’en aller avec la possession. Au milieu de cette nuit de folie, une heure arriva où, lassés de caresses : moi, alangui de volupté ; elle, épuisée d’émotions, nous nous laissâmes aller à nous reposer l’un près de l’autre. Nous nous taisions. Charlotte avait posé sa tête sur ma poitrine. Elle fermait ses yeux, brisée par l’excès des sensations subies. Je me souviens. Je la regardais et je me sentais, sans savoir comment, retomber de mon âme exaltée et frénétique d’avant le bonheur, à cette âme réfléchie, philosophique et lucide qui avait été la mienne autrefois et que le sortilège du désir avait métamorphosée. Je regardais Charlotte, et cette idée s’emparait de moi, que dans quelques heures ce corps adorable, animé en ce moment de toutes les ardeurs de la vie, serait immobile, glacé, mort, — morte cette bouche fine qui frémissait encore de mon baiser, morts ces beaux yeux abrités sous leurs tremblantes paupières pour mieux retenir leur rêve, morte cette chair à qui je venais de révéler l’amour, morte cette âme à moi, pleine de moi,