que je ne voudrais rien effacer de ces douleurs, tellement j’ai besoin de sentir que j’ai vécu par vous… » Elle disait : « Vous me laisserez mourir la première, pour que je ne vous voie pas souffrir… » Et elle m’enveloppait de ses cheveux, et c’était, sur ce visage que j’avais connu si maître de lui, une extase de martyre, une joie comme surnaturelle avec un fonds de douleur, une exaltation mêlée de remords. Quand elle se taisait, serrée à moi, absorbée en moi, nos bouches unies, nos bras liés, nous pouvions entendre le vent qui tournait, tournait, mélancolique, autour des fenêtres closes, et ce château endormi avec son silence paisible, c’était déjà la tombe, cette tombe vers laquelle nous roulions, roulions, entraînés hors de la vie par l’ardeur d’amour qui nous avait ainsi jetés sur le cœur l’un de l’autre.
C’est ici, mon cher maître, que se place l’épisode le plus singulier de cette aventure, celui que les hommes appelleraient le plus honteux ; mais de vous à moi ces mots-là n’ont pas de sens et j’aurai le courage de tout vous raconter de cette heure. J’avais été sincère, je vous l’ai dit, et sincère sans l’ombre de calcul, dans cette résolution de suicide qui m’avait fait acheter la fiole de noix vomique, puis écrire à Charlotte. Lorsqu’elle était venue, qu’elle était tombée dans mes bras, qu’elle s’était écriée : « Mourons ensemble ! » j’avais répondu : « Mourons ensemble, » avec la