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LE DISCIPLE

qu’en dépit des incohérences d’un cœur presque inintelligible à lui-même, vous ne doutiez pas de ma sincérité en ce moment-là. J’ai tant besoin de ne pas en douter, moi non plus ; besoin de me répéter que je n’ai pas menti alors. Croyez-moi. Il n’y avait plus un atome de comédie volontaire dans le mouvement subit par lequel je me levai au seul rappel du nom de l’homme à qui Charlotte devait appartenir, à qui elle appartenait. Il n’y avait pas de comédie dans les larmes qui me jaillirent des yeux, sitôt passé le seuil de la porte, ni dans celles que je versai encore la nuit qui suivit, désespéré par cette double et affreuse certitude que nous nous aimions, elle et moi, et que jamais, jamais, nous ne serions l’un à l’autre ; pas de comédie dans les sursauts de douleur que sa présence m’infligea durant les jours d’après. Son visage creusé, sa silhouette émaciée, ses prunelles souffrantes étaient là qui me bouleversaient, et cette pâleur me navrait l’âme, et cette ligne mince de son corps affolait mon désir, et ces prunelles me suppliaient : « Ne parlez pas… Je sais que vous êtes misérable aussi… Vous seriez trop cruel de reprocher, de vous plaindre, de montrer votre plaie… » Dites, si je n’avais pas été de bonne foi dans ces journées, est-ce que je les aurais laissées passer sans agir, lorsque les heures m’étaient comptées ? Mais je ne me rappelle pas une réflexion, pas une combinaison. Je me rappelle des