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LE DISCIPLE

mi-voix et debout près de la fenêtre. Lucien, à qui l’on avait caché la venue des deux femmes, montrait sur son visage amaigri et dans ses gestes énervés cette joie un peu excitée, presque fiévreuse, qui se remarque chez les convalescents. Il me salua de son plus gai sourire, et, me prenant la main, il dit à sa sœur :

— « Si tu savais comme M. Greslou a été bon pour moi tous ces jours-ci !… »

Elle ne répondit rien, mais je vis que sa main, à elle, posée près de la joue de son frère sur l’oreiller, était comme secouée d’un frisson. Elle fit un effort, pour me regarder d’un regard qui ne la trahit point. Sans doute mon visage, à moi, exprimait une émotion qui la toucha. Elle sentit que de laisser ainsi tomber la phrase innocente du petit garçon me ferait mal, et, avec sa voix des jours passés, avec sa douce et vivante voix, où frémissait la palpitation étouffée d’un cœur trop ému, elle dit, sans m’adresser la parole directement :

— « Oui, je le sais ; et je l’en remercie. Nous le remercions tous beaucoup… »

Elle n’ajouta pas un mot. Je suis sûr que si je lui avais de nouveau pris la main à cette minute, elle se serait évanouie, tant elle était remuée par ce simple entretien. Je balbutiai une réponse vague, un : « C’est trop naturel, » ou je ne sais quoi de semblable. Je n’avais pas moi-même beau-