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LE DISCIPLE

En pensée, je me réveillais dans la petite chambre de la rue du Billard. En pensée, je suivais les trois rues qu’il faut prendre pour aller de là jusqu’à la Faculté. J’entrais dans le palais de l’Académie, bâti en briques rouges, et je gagnais la salle des conférences avec ses murs nus, garnis de tableaux noirs. J’écoutais le professeur analyser quelque auteur de licence ou d’agrégation. Cela durait une heure et demie, puis je revenais, ma serviette sous mon bras, par les froides ruelles de la vieille ville, car il m’y faudrait séjourner cette année encore, n’ayant pas travaillé de manière à subir mon examen avec succès. Je continuerais d’aller et de venir dans ce décor de maisons noires, avec cet horizon de montagnes neigeuses, de voir le père et la mère du petit Émile assis à leur fenêtre et jouant au mariage, le vieux Limasset lisant son journal dans l’angle du café de Paris, les omnibus de Royat au coin de Jaude. Oui, j’en étais descendu là, mon cher maître, à cette misère des esprits sans psychologie, et qui, s’attachant à la forme extérieure de la vie, n’en pénètrent pas l’essence. Je méconnaissais ma foi ancienne dans la supériorité de la Science, à qui trois mètres carrés d’une chambrette suffisent, pour qu’un Spinoza ou un Adrien Sixte y possède l’immense univers en le comprenant. Ah ! J’ai été bien médiocre dans cette période d’impuissantes convoitises et d’amour vaincu ! J’ai bien maudit, et