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LE DISCIPLE

vantaient, elles s’enlevaient, serrées et frémissantes, d’un vol plus rapide, un vol pareil à celui dont s’était échappé le sauvage oiseau que j’avais cru abattre un jour. Du côté de Saint-Saturnin, les coteaux plantés de vignes étalaient par grappes encore rouges les raisins bientôt mûrs pour la vendange. Je regardais les ceps veufs de fruits, ceux que les grêles du printemps avaient hachés dans leur fleur. Ainsi était morte sur place, avant d’être mûre, ma vendange, à moi, vendange d’émotions enivrantes, de félicités douces, de brûlantes extases. J’éprouvais un morne et indéfinissable plaisir à chercher partout dans le paysage des symboles de mon sentiment ; l’alchimie de la douleur m’avait, pour une courte période, purifié de tout calcul. Si je fus jamais un véritable amant et livré sans réflexion au cruel va-et-vient des regrets, des souvenirs et des désespoirs, c’est alors, durant ces journées qui devaient être les dernières de mon préceptorat. Le marquis, en effet, annonçait l’intention de rapprocher son départ. Il avait abdiqué son hypocondrie, et, allègre, ses yeux gris tout clairs dans son teint moins rouge, il me disait :

— « Je l’adore, moi, mon futur gendre… Je voudrais que vous le connussiez… C’est loyal, c’est brave, c’est bon, c’est fier. Du vrai sang de gentilhomme dans les veines… Enfin, comprenez-vous les femmes ? En voilà une qui n’est pas plus