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LE DISCIPLE

lit, je regardais se dévêtir cette femme sur qui je m’étais rué dans la première fureur de la puberté. Elle était lourde, mais jeune, fraîche et robuste. Ah ! comme l’image de Mlle de Jussat se fit présente à cette minute, et sa silhouette de frêle statuette grecque, et la délicatesse devinée de son corps gracile ! Comme cette image était encore là vivante devant mes yeux, tandis qu’étendu dans le lit, j’étreignais ma première maîtresse, avec une ardeur de brutalité qui se mélangeait d’une tristesse infinie ! Cette créature était une simple fille du peuple et qui ne raisonnait guère. Mais les plus matérielles ont d’étranges finesses quand elles aiment, et celle-là m’aimait à sa façon. Je m’aperçus qu’elle aussi n’éprouvait plus auprès de moi les sensations anciennes. Je la vis s’exalter sous mes caresses, puis, au lieu de cette fougue heureuse d’autrefois, elle parut déçue dans son désir, comme déconcertée par mes regards, comme gagnée par ma tristesse, et elle me dit, dans l’intervalle de nos baisers :

— « Qu’as-tu qui te peine ?… » et, employant une locution bien clermontoise : « Je ne t’ai plus vu si triste, » et, plaisantant avec la bonhomie matoise des Auvergnats : « C’est quelque femme mariée qui t’a monté le coup… Il est assez long ton cou, tu n’as pas besoin qu’on te le hausse… »

Elle m’avait, en commentaire de son mauvais jeu de mots, mis ses deux mains autour du cou,