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LE DISCIPLE

vivante en était retirée. Et cette sensation de son absence devenait plus intolérable encore à retrouver Lucien, qui ne manquait jamais de me parler d’elle. Il l’aimait, il l’admirait si tendrement, et dans son ingénuité il me donnait tant de preuves qu’elle était si digne d’être admirée et d’être aimée ! Alors la lassitude physique se résolvait en un pire énervement, et des nuits suivaient, d’une insomnie agitée, comme empoisonnée d’amertume, dans lesquelles il m’arrivait de pleurer tout haut, indéfiniment, en criant son nom comme un aliéné.

— « C’est par la pensée que je souffre, » me dis-je après avoir vainement demandé le remède aux grandes fatigues. « Attaquons la pensée par la pensée… » Il y eut donc une seconde période durant laquelle je voulus déplacer le centre même de mes forces d’esprit. J’entrepris l’étude la plus complètement opposée à toute préoccupation féminine. Je dépouillai en moins de quinze jours, la plume à la main, deux cents pages de cette Physiologie de Beaunis emportée dans ma malle, et les plus dures pour moi, celles qui traitent de la chimie des corps vivants. Mes efforts pour entendre et pour résumer ces analyses, qui exigent le laboratoire, eurent beau être suprêmes, je n’arrivai qu’à m’hébéter l’intellect et je me trouvai moins capable de résister à l’idée fixe. Je reconnus que je faisais de nouveau fausse route.