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LE DISCIPLE

pâle, puis tout foncé. Le soleil allumait sur les fleurs, les arbres, les herbes, un étincellement de rosée brillante. J’essayais de me procurer la sauvage griserie animale que j’avais connue jadis dans des courses semblables. Persuadé, comme je le suis, des lois de l’atavisme préhistorique, je m’efforçais, par cette sensation de la marche forcée et celle des hauteurs, d’éveiller en moi l’esprit rudimentaire de la brute ancestrale, de l’homme des cavernes dont je descends, moi comme les autres. Je parvenais ainsi à une sorte de délire farouche, mais qui n’était ni la paix rêvée ni la joie, et qui s’interrompait à la moindre réminiscence de mes relations avec Charlotte. Le détour d’un chemin que nous avions suivi ensemble, la nappe bleue du lac aperçue d’un sommet, la ligne ardoisée des toits du château profilés à travers l’espace, moins que cela, le feuillage mobile d’un bouleau et son fût argenté, sur un écriteau le nom d’un village dont elle avait parlé un jour, cela suffisait, et cette frénésie factice cédait la place à la cuisante douleur du regret qu’elle ne fût pas auprès de moi. Je l’entendais me dire de sa voix timbrée finement : « Regardez donc… » comme elle disait autrefois quand nous errions ensemble dans ce même horizon de montagnes, en ces temps-là glacé de neiges, — mais la fleur vivante de sa beauté s’y épanouissait, — maintenant paré de verdure, — mais la fleur